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« Face à l’inquisition réactionnaire, les universités doivent assurer les conditions, en leur sein, de délibérations informées et contradictoires »

Dans le contexte d’extrême polarisation qui précède l’élection présidentielle américaine de novembre, les guerres culturelles menées par les tenants de diverses tendances ultra-conservatrices et leurs « alliés objectifs » que sont les prosélytes religieux et les régimes illibéraux connaissent une nouvelle escalade. Dernier épisode en date : la campagne orchestrée contre les dirigeantes de trois prestigieuses universités américaines par des opposants aux politiques de justice sociale et raciale.
Auditionnées le 5 décembre 2023 par une commission d’enquête du Congrès chargée de documenter l’inaction supposée des campus face aux manifestations d’antisémitisme dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, les dirigeantes de Harvard, du MIT et de l’université de Pennsylvanie se sont ruées dans le guet-apens tendu par la congressiste trumpiste Elise Stefanik.
Empêtrées dans les arguties juridiques d’une défense hasardeuse de la liberté d’expression garantie par le premier amendement, ces académiques de haut niveau ont démissionné. En un mois, cette campagne à laquelle ont prêté main-forte certains des donateurs de ces établissements, situés à la droite du Parti républicain, a fait feu de tout bois : aux accusations d’antisémitisme institutionnel ont ainsi rapidement succédé celles de plagiat dirigées contre Claudine Gay.
En réalité, c’est le profil de la présidente de Harvard, nommée depuis à peine six mois, qui était visé : une femme noire, d’origine haïtienne, politologue spécialiste des questions raciales et des questions d’identité, titulaire d’une chaire d’études afro-américaines. Son pedigree a été jugé indigne de la fonction par ses inquisiteurs qui, à travers elle, entendent instruire le procès des politiques de « diversité-égalité-inclusion » en vigueur dans les universités américaines pour favoriser l’accès des femmes et des minorités aux postes à responsabilités. Ces politiques font déjà figure de vestiges d’un temps révolu depuis que la Cour suprême, dont six des neuf membres ont été nommés par les républicains, a mis fin à l’« affirmative action » en faveur de l’égalité raciale et sexuelle, qui était en place depuis le président Kennedy.
Largement commenté dans la presse américaine, ce procès idéologique « intersectionnel » qui croise biais de race et de genre s’inscrit dans une entreprise plus vaste, qui vise à saper deux des piliers de l’espace public démocratique, au sens donné par le philosophe allemand Jürgen Habermas : l’Etat de droit et l’existence de lieux de production de savoirs et de discours soumis à délibération.
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